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Le monothéisme des Peaux-Rouges : Le sacré dans la nature

Lecture : "Le Soleil de Plumes. Art, Symbolisme et Philosophie chez les Indiens des plaines" par Frithjof Schuon

Sur le livre intitulé “Le Soleil de Plumes. Art, Symbolisme et Philosophie chez les Indiens des plaines” rédigé par Frithjof Schuon, un métaphysicien et artiste.

Ce recueil, qui a longtemps été disponible en anglais, rassemble des articles, des lettres et des notes de voyage qui permettent au lecteur francophone de découvrir la spiritualité profonde des Indiens Peaux-Rouges, également connus sous le nom de “rubérindiens”, vivant dans les vastes plaines nord-américaines. Pour ces peuples, la vénération de Dieu et la contemplation de la nature sont intrinsèquement liées, formant ainsi une expérience symbolique du monde qui a été largement oubliée dans la modernité occidentale.

Il existe de nombreux ouvrages d’anthropologie universitaire consacrés aux sociétés amérindiennes. Ils offrent au lecteur une occasion de découvrir les différentes caractéristiques sociales, rituelles et politiques de ces ethnies qui ont évolué au fil des millénaires sur le continent américain. Cependant, il convient de souligner que la dimension spirituelle n’est pas une condition scientifiquement requise pour exercer le métier d’ethnographe ou d’anthropologue. En effet, ces professionnels peuvent être croyants ou athées, ce qui signifie qu’ils peuvent partager ou ignorer le sens du sacré et du surnaturel des sociétés traditionnelles qu’ils étudient.

C’est précisément cette différence qui distingue l’œuvre de Schuon. En lisant son livre consacré exclusivement aux Indiens d’Amérique, le lecteur peut pénétrer dans la connaissance de leur culture à travers les yeux d’un homme qui voit la religion indienne traditionnelle avec les yeux d’un homme qui reconnait et rend grâce à DIEU. Schuon, au-delà de son lieu de naissance en Europe, aime les Indiens. Son approche ne se limite pas à une étude érudite basée sur une multitude de faits. Il ne se contente pas de la lettre, mais révèle, à partir des éléments les plus caractéristiques de la piété des Indiens d’Amérique du Nord, qu’il a personnellement expérimentée, leur esprit.

Pour Schuon, cet esprit ne peut être compris logiquement ni par un postulat matérialiste, ni par un postulat structuraliste comme celui de Claude Lévi-Strauss, ni même par le postulat relativiste de Philippe Descola. En effet, il suppose d’admettre a priori la réalité du spirituel selon une conception hiérarchique des différents degrés de réalité, depuis le Principe jusqu’à ses manifestations qui en sont des symboles. Ainsi, “Le Soleil de Plumes” de Frithjof Schuon se présente comme une pièce précieuse d’anthropologie métaphysique, appliquée aux Indiens des plaines américaines.

Approche et méthodologie spirituelles

Tableau par Frithjof Schuon

La spiritualité des Indiens Peaux-Rouges, également appelés “rubérindiens” selon Schuon en référence à la couleur rouge (du latin “ruber”), représente un modèle de société traditionnelle fondé sur l’harmonie, l’héroïsme et la légèreté. Ce modèle exerce une force de fascination singulière sur les Occidentaux, nostalgiques d’une relation au monde à laquelle ils ont renoncé. Schuon remarque à juste titre que le fait que “l’Indien des temps héroïques se perpétue dans les jeux des enfants presque dans le monde entier […] n’est pas un simple hasard dénué de signification ; cela indique en tout cas un message original et puissant qui ne peut mourir et qui se manifeste comme il peut.” C’est précisément ce message que Frithjof Schuon restitue et témoigne à travers ses écrits et ses tableaux.

La qualification initiatique de Schuon pour l’étude des doctrines amérindiennes transparaît de son intégration et de sa reconnaissance au sein des grandes tribus des Plaines. En effet, il existe une sphère qui, par définition, échappe à la science ordinaire, mais qui constitue la base même de toute civilisation : la spiritualité, la connaissance de la Réalité Divine et des moyens de la réaliser, à un certain degré, en soi-même. C’est pourquoi, après des visites fructueuses dans la réserve sioux du Dakota du Sud et chez les Crows dans le sud du Montana, pour n’en citer que quelques-unes, Schuon fut officiellement admis dans la tribu des Sioux lors d’une fête indienne à Sheridan. Après avoir été baptisé, il reçut le nom de Wambali Ohitika, qui signifie “Aigle courageux”. Les Sioux le reconnurent alors comme l’un des leurs en lui attribuant le nom honorifique de Wicahpi Wiyakpa, traduisible par “Étoile Étincelante”. Schuon n’avait certes pas de lien de parenté sanguine avec ces Indiens Peaux-Rouges, mais sa compréhension de l’esprit de cette culture était suffisamment fidèle et profonde pour que les principaux intéressés reconnaissent l’orthodoxie du métaphysicien de manière endogène.

Contrairement à certains chercheurs modernes, Frithjof Schuon n’étudie pas les Indiens des plaines d’Amérique du Nord en postulant l’inexistence de réalités spirituelles. En tant que maître spirituel reconnu, fidèle à l’esprit traditionnel du christianisme et de l’islam, il reconnaît au contraire l’existence du divin et la possibilité pour les êtres humains d’y participer et de le connaître grâce aux rites et aux symboles propres à chaque religion. Ainsi, contrairement à beaucoup d’anthropologues occidentaux, Schuon ne considère pas les rites de ces Indiens comme de simples “comportements sociaux” ou des pratiques idolâtriques ou polythéistes. Il estime qu’il est absurde de prétendre que le Bison est le dieu des Indiens simplement parce qu’un culte lui est rendu. Pour eux, le bison n’est ni plus ni moins qu’un symbole de la divinité. Schuon explique que lorsque les Indiens chassent le bison, ils sont conscients que celui-ci n’est pas divin et qu’il est une créature périssable comme les autres. En revanche, lorsqu’ils se réconcilient avec le bison à travers le rite du Calumet, en le remerciant de leur avoir fourni leur subsistance, c’est parce qu’ils savent que, dans ce contexte, l’animal représente la projection ou la prolongation de l’archétype immortel et quasi divin.

Ainsi, Frithjof Schuon s’oppose à ceux qui considèrent les rites des Indiens des plaines d’Amérique du Nord comme de simples comportements sociaux dénués de réalité spirituelle. À l’instar de l’esprit traditionnel du christianisme et de l’islam, il reconnaît l’existence du divin et la possibilité pour les êtres humains de le connaître et d’y participer à travers les pratiques rituelles et symboliques propres à chaque religion. En mettant en lumière cette dimension spirituelle, Schuon offre une perspective différente de celle des anthropologues occidentaux et insiste sur la profondeur et la signification des rites des Indiens Peaux-Rouges des plaines d’Amérique du Nord.

L’expression transcendantale à travers les symboles

Afin de comprendre le monothéisme des Indiens Peaux-Rouges, il est essentiel de saisir les principes fondamentaux du symbolisme, à travers lesquels les apparences sensibles sont perçues dans leur relation aux essences dont elles sont des représentations dans l’art traditionnel. Selon Frithjof Schuon, “l’idée indienne de Dieu n’est ni anthropomorphique ni panthéiste, mais polysynthétique du point de vue métaphysique : Dieu est un, mais il se manifeste de multiples façons.” Ainsi, le fait qu’il existe un culte adressé à différentes représentations ne signifie pas qu’il s’agit d’un polythéisme. Ce qui est souvent appelé à tort polythéisme correspond en réalité à rendre grâce aux différents attributs de Dieu, et non de plusieurs dieux, ce qui serait métaphysiquement contradictoire. Cette révérence des attributs divins chez les Indiens Peaux-Rouges conduit à un respect profond de la nature, perçue dans sa dimension sacrée et théophanique. Selon Schuon, “tout comme les Asiatiques, les Indiens d’Amérique accordent une grande importance à la signification spirituelle de la nature. Le Grand-Esprit n’est ni le soleil, ni l’aigle, ni le bison, ni le rocher, mais ces formes sont une partie de Lui et on peut Le contempler à travers elles, voire Le voir en elles ou derrière elles. Le Grand-Esprit est le Soi intérieur de toutes les créatures.”

Tableau par Frithjof Schuon

Frithjof Schuon partage avec son contemporain René Guénon, qui était mathématicien de formation, la conviction qu’il existe une unique doctrine métaphysique cachée sous la diversité des mythes, des rituels et des symboles des différentes traditions sacrées de l’humanité. Cependant, Schuon propose une approche beaucoup plus esthétique et artistique des réalités métaphysiques. En tant qu’écrivain et peintre, il ne se contente pas de décrire la doctrine, mais la représente visuellement. Trente-neuf de ses nombreuses peintures quasi-iconiques illustrent ainsi l’esprit des Indiens des Plaines et la manière dont ils rendent visible le divin. Schuon aime juxtaposer des couleurs et des postures physiques complémentaires, des paires de personnages placées dans une composition contrastée, ainsi que des couleurs telles que l’orange et le vert, le bleu et le jaune, ou encore des éléments tels que le feu et la neige, ou les mouvements des vents et l’immobilité.

Ses compositions artistiques reflètent deux principes métaphysiques : d’une part, l’interpenétration des contraires qui s’exprime à travers le symbole (dont le yin-yang taoïste est l’expression la plus connue) ; et d’autre part, le dépassement intuitif de toutes les dualités pour atteindre l’Unité. Ainsi, Schuon réalise la fonction universelle de la symbolique religieuse, qui consiste à représenter l’immanence du transcendant, la présence de ce Principe qui est toutes choses et pourtant aucune d’elles. Il convient néanmoins de souligner que l'”infusion spirituelle” qui anime l’œuvre picturale de Schuon ne peut être dissociée de son “génie pictural propre”.

Dans ses tableaux consacrés aux Indiens des Plaines, Frithjof Schuon aborde principalement deux sujets. D’une part, il explore “le monde des Indiens d’Amérique dans sa dimension sacerdotale et sa dignité héroïque”.

La révélation divine à travers la nature

Le symbolisme traditionnel, quelle que soit la religion considérée, vise à révéler les réalités métaphysiques. Cela se réalise à travers les deux fonctions principales du symbolisme : la représentation de la divinité par des formes sensibles qui en reflètent certains aspects et l’implication des fidèles dans sa nature. Les productions culturelles des Indiens, comme les vêtements, montrent le divin en se référant à des éléments naturels qui symbolisent des principes divins. Par exemple, le disque brodé en piquants de porc-épic représente les rayons du soleil, qui à leur tour symbolisent les différentes manifestations du Grand-Esprit. De même, la plume d’aigle symbolise le Grand-Esprit et la présence divine, et les rayons du soleil, en tant qu’image du Grand-Esprit, sont symbolisés par les plumes, que ce soit dans les coiffes des Indiens ou les décorations de leurs vêtements et tipis.

Tableau par Frithjof Schuon

Le rite met en mouvement ce qui est représenté par le symbole. Schuon présente notamment le grand rite initiatique de la “danse du Soleil” des Indiens des Plaines, qui se déroule une fois par an en été et est rappelé par le rite du Calumet à chaque pleine lune. Ce rituel solaire consiste à choisir, abattre et installer rituellement un arbre, puis à se lier à cet “arbre central – nu et ébranché” par des lanières et des crochets, et à effectuer un mouvement de va-et-vient entre cet arbre, symbole de l’Axe du monde, et un abri circulaire couvert de branchages. Ce mouvement entre l’arbre et l’enceinte circulaire reflète les phases respiratoires ou les battements du cœur. Ainsi, les danseurs puisent leur force au centre, et leur danse régressive depuis l’arbre central vers l’enceinte circulaire marque la phase d’assimilation de l’influence spirituelle présente dans l’arbre.

Dans la spiritualité traditionnelle des Indiens des Plaines d’Amérique du Nord, la nature occupe une place centrale pour révéler l’unité divine qui la traverse et s’incarne en chaque être en tant que symbole et analogion. Cependant, l’Occident moderne a refusé de reconnaître cette dimension sacrée de la nature, préférant l’exploiter plutôt que la cultiver. Cela se manifeste par la tendance à “vaincre” la nature, la considérant comme une entité séparée de l’homme. Cette vision dualiste a entraîné une diminution sans précédent de la faune et de la flore sur notre planète. Pourtant, la reconnaissance de la dimension sacrée de la nature est d’une importance primordiale dans notre parcours spirituel. Renoncer à la domination matérielle exige d’accepter une puissance spirituelle. La croissance de Dieu implique la décroissance de l’homme, comme la croissance du jour implique la décroissance de la nuit.

La connaissance comparée de la culture des Peaux-Rouges offre une alternative au naturisme et à l’écologie des Occidentaux modernes, qui ont perdu toute intelligence symbolique et religieuse. Au lieu de projeter un individualisme désabusé dans une nature désacralisée, il s’agit de retrouver, sur la base de l’esprit traditionnel, la substance divine inhérente à la nature. En d’autres termes, il s’agit de “voir Dieu partout” et de reconnaître sa mystérieuse présence en toute chose.

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