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« J’insistais d’autres fois sur certains aspects de la vie en groupe, dont le but avoué est de faire vivre les jeunes ensemble pour les initier — apprécions le terme — à « la vie sociale », mais dont le but inavoué est de les habituer le plus tôt possible à la vie collective, au détriment de la formation de la personnalité. Il va de soi que les jeunes ont besoin d’apprendre la vie en société et de se reconnaître entre eux en tant qu’appartenant à la même sphère psychosociale. Mais il est tout aussi nécessaire de se retrouver à certains moments seul et tranquille devant soi-même, ce qui semble de moins en moins permis, si même encore possible. Les jeunes sont pris dans un tourbillon d’occupations et de distractions qui ne les laissent plus jamais en repos. L’élève solitaire est mal vu : il veut se distinguer ; assimilé à un marginal, presque à un malade. Il peut l’être. Mais il peut être aussi, à âge égal, plus mûr que ses camarades, plus profond, plus sensible, plus créatif, au point qu’il s’ennuie avec eux et durant des cours imposés qui ne l’intéressent pas. Ce qu’on lui pardonne difficilement. Il trahit en somme la communauté [1]. Il compromet le dogme égalitaire.
On ne s’avise pas que vivre obligatoirement dans une dispersion quasi permanente est une première manière d’empêcher toute préparation à une future individuation, de rendre complétement étranger à toute notion d’intériorité. Si même la première moitié de la vie passe pour être extravertie, tournée vers les voyages, les rencontres, les expériences, l’épanouissement des sens, elle n’en demande pas moins que, dès l’adolescence, soit entretenue dans la niche du cœur la petite veilleuse du spirituel, de peur qu’elle ne s’éteigne à jamais, et en prévision de la seconde moitié de la vie, forcément tournée vers d’autres préoccupations.
La vie collective obligatoire dissout le moi d’adolescents en pleine formation dans une sorte d’indifférenciation qui permettra plus tard de dominer plus facilement des esprits dilués, qui n’ont pas été fortifiés ni construits. On sait que plus grand est le nombre d’individus rassemblés, plus s’abaisse le niveau mental et plus sont réunis les possibilités d’un régime asservissant.[1] C’est l’anecdote de l’enfant seul au bout de la classe. Alors que l’on demande aux élèves : « Quand fond la neige, qu’arrive-t-il ? », et que tous répondent : « De l’eau», lui répond : « Le printemps. » C’était déjà se placer à un niveau différent —, supérieur. Celui-là avait tout compris, voyait plus loin que les autres, qui ne surent que se moquer. On retrouve là en raccourci, et au simple niveau humain, bien sûr, l’histoire du Fils de Dieu devant un peuple qu’un abîme d’incompréhension sépare de lui, et qui ne sait pas saisir au vol la chance qui lui est offerte, préférant mettre à mort celui qui en est porteur. »
— Jean Biès, « Orientations spirituelles pour un temps de crise »
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